Le 2 octobre, Haïti a annoncé que le choléra était de retour dans le pays. Les souvenirs de la précédente épidémie, qui a tué près de 10 000 Haïtiens entre 2010 et 2019, sont encore vifs ; aujourd'hui, avec des gangs violents qui luttent pour le contrôle du pays et un système de santé en déroute, les choses pourraient à nouveau devenir très tendues. www.science.org/content/article/vaccines-are-short-supply-amid-global-cholera-surge ?
Quelques jours plus tard, le Liban a signalé ses premiers cas de choléra depuis 1993, chez un réfugié syrien et un agent de santé dans le nord du pays. D'autres cas ont rapidement suivi, et les organisations sanitaires craignent que le système de santé libanais, durement touché par une crise financière qui dure depuis des années, ne cède sous ce nouveau fardeau. Deux semaines plus tard, le Kenya, où des millions de personnes ont fui la pire sécheresse depuis des décennies, a également signalé ses premiers cas de choléra.
Ces flambées font partie de ce que l'OMS appelle une augmentation "sans précédent" des cas de choléra, due en partie à la crise climatique et aux retombées de la pandémie de COVID-19. Trente pays ont signalé des flambées cette année, contre moins de 20 en moyenne ces cinq dernières années. "La tendance est à l'augmentation du nombre de pays touchés, dans un plus grand nombre de régions, et à l'allongement de la durée des épidémies", explique Daniela Garone, coordinatrice médicale internationale de Médecins sans frontières (MSF). Les stocks mondiaux de vaccins contre le choléra s'épuisent, ce qui oblige les organisations sanitaires à rationner les doses et à repenser leur stratégie de lutte.
Le choléra, qui se propage par de l'eau ou des aliments contaminés par la bactérie Vibrio cholerae, peut provoquer de graves diarrhées et tue environ 20 000 à 140 000 personnes chaque année. Il y a quelques années à peine, les perspectives de réduction de ce fléau semblaient s'éclaircir. Un nouveau vaccin bon marché, fabriqué à partir de bactéries inactivées dépourvues d'une partie de leur toxine, a été approuvé en 2015 ; des millions de doses ont été ajoutées à un stock international pour une utilisation d'urgence. En 2017, l'OMS et de nombreux partenaires internationaux ont lancé une nouvelle stratégie de lutte ambitieuse qui reposait sur la vaccination, l'amélioration de l'assainissement et l'élargissement de l'accès à l'eau potable et aux traitements. Elle était censée réduire de 90 % le nombre de décès dus au choléra et éliminer la maladie dans 20 pays d'ici 2030.
Selon Philippe Barboza, qui dirige la section Choléra et maladies diarrhéiques épidémiques de l'OMS, les conditions météorologiques extrêmes alimentées par le réchauffement climatique expliquent en partie la tendance à la hausse des cas. Les sécheresses en Afrique de l'Ouest et dans la Corne de l'Afrique, les inondations massives en Asie du Sud-Est et les cyclones en Afrique australe ont déplacé les populations et détruit les infrastructures d'eau et d'assainissement. Le tribut payé par le COVID-19 au système de santé a aggravé la situation. Le taux de létalité du choléra en Afrique était de près de 3 % en 2021, indique Mme Barboza, soit environ trois fois plus qu'au cours des cinq années précédentes. "Chaque fois que nous avons cherché à savoir pourquoi [le taux de mortalité] était si élevé, la raison était la même : l'accès tardif aux soins de santé", dit-il.
Les 36 millions de doses de vaccin qui devraient être expédiées à partir du stock cette année ne suffiront pas. Une protection complète nécessite deux doses administrées à deux semaines d'intervalle, de sorte que les stocks ne couvrent que 18 millions de personnes - "ce qui n'est pas beaucoup quand on pense aux pays [affectés] comme le Bangladesh, le Pakistan, l'Éthiopie, le Nigeria", dit Barboza. Le mois dernier, le Groupe international de coordination qui gère le stock - composé de l'OMS, de MSF, de l'UNICEF et de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge - a annoncé qu'il cesserait d'administrer des secondes doses pour étirer les stocks. Selon Charlie Weller, immunologiste au Wellcome Trust, la stratégie à une dose a déjà été utilisée avec succès, mais on ne sait pas combien de temps la protection durera. (Même le schéma complet à deux doses ne protège que pendant trois ans).
Entre-temps, Shantha Biotechnics, en Inde, qui fabrique 10 % de l'approvisionnement mondial en vaccins contre le choléra, prévoit d'arrêter la production d'ici à la fin de 2023. Le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a exhorté Shantha et sa société mère, Sanofi, à reconsidérer sa décision, ce qui ne laisserait qu'un seul fabricant, le sud-coréen EuBiologics. L'International Vaccine Institute (IVI), une organisation à but non lucratif basée en Corée du Sud qui a contribué à la mise au point du vaccin oral bon marché, collabore avec EuBiologics pour augmenter sa capacité de production à quelque 80 à 90 millions de doses par an, explique Julia Lynch, qui dirige le programme de lutte contre le choléra de l'IVI. Elle aide également une société sud-africaine appelée Biovac à mettre en place une installation pour produire les vaccins, dans le cadre d'un projet financé par le Wellcome Trust et la Fondation Bill et Melinda Gates.
Mais ces deux efforts prendront plusieurs années.