L’Afrique est confrontée à de nouveaux défis dans sa lutte contre le paludisme: le climat devient plus favorable aux moustiques, tandis que les insectes évoluent pour échapper aux insecticides et que les parasites du paludisme deviennent résistants aux médicaments ayant fait baisser le nombre de décès. En 2020, l’Organisation mondiale de la santé estimait qu’environ 90 % des cas de paludisme et 92 % des décès survenaient en Afrique. Plus de 600 000 enfants africains sont morts du paludisme au cours de cette seule année.
Cet article utilise le Rwanda, une petite nation enclavée d’Afrique centrale, pour illustrer la lutte entre les gouvernements et les insectes.
Progrès dans la lutte contre le paludisme
D’énormes progrès ont été réalisés dans la lutte contre le paludisme depuis 2000. Au cours des 20 dernières années, plus de 600 millions de cas de paludisme et plus de 6 millions de décès ont été évités. Ces progrès ont été réalisés grâce à un engagement politique ainsi que des partenariats sans précédent. Cependant, les progrès ont ralenti depuis 2016. En 2022, la lutte contre le paludisme est confrontée à de nouveaux défis croissants. De meilleures données confirment que le fardeau mondial du paludisme est plus élevé que ce qui avait été estimé précédemment et que la COVID-19 et d’autres défis, comme l’augmentation de la résistance aux médicaments et aux insecticides et les urgences humanitaires, ont entraîné une augmentation des décès dus au paludisme pour la première fois en plus d’une décennie.
Prenons l’exemple du Rwanda. Selon les données du Centre biomédical du Rwanda (RBC), le pays a enregistré une diminution de la prévalence du paludisme, où les cas sont passés de 5 millions à 1 million sur une période de cinq ans, de 2016 à 2021. Les cas graves de paludisme sont également passés de 18 000 à moins de 2 000, et le nombre de décès liés au paludisme a diminué de 700 à 69.
Ces réalisations ont été rendues possibles par divers facteurs, notamment les interventions de RBC pour faire en sorte que les services de diagnostic et de traitement du paludisme soient plus accessibles au public. Actuellement, jusqu’à 60 % de tous les cas de paludisme sont diagnostiqués et traités à domicile par des agents de santé communautaires.
Dans le passé, le gouvernement a lancé des campagnes de pulvérisation résiduelle à l’intérieur des habitations, dans le cadre desquelles du personnel qualifié pulvérisait des insecticides à l’intérieur des maisons pour se débarrasser des moustiques, ainsi que l’utilisation de drones pour la pulvérisation des gîtes larvaires extérieurs. Le Dr Aimable Mbituyumuremyi, chef de division pour le paludisme et les autres maladies parasitaires à RBC en 2021, a déclaré que les drones ont aidé à établir une cartographie précise des sites de reproduction des moustiques et à pulvériser le larvicide.
Le Rwanda a rejoint le mouvement “Zero Malaria Starts with Me” en 2020 dans le cadre des efforts visant à éradiquer la maladie. La campagne a été lancée en 2018 par le président rwandais Paul Kagame, alors président de l’Union africaine, afin de renforcer l’appropriation communautaire des efforts de lutte contre le paludisme et d’accroître l’engagement politique en faveur de l’élimination de la maladie. À ce jour, 25 pays ont lancé le mouvement. Le Rwanda n’est pas le seul pays à avoir progressé dans ce domaine. Dans toute l’Afrique subsaharienne, des efforts symbiotiques ont été déployés pour s’attaquer de front au paludisme en investissant dans les communautés et les systèmes de santé et, en mettant en œuvre des programmes novateurs et intégrés pour vaincre cette maladie millénaire. De tels cas montrent que le paludisme peut être éliminé. Cependant, la lutte contre le paludisme reste une bataille difficile, en particulier en Afrique subsaharienne.
Les confinements et le changement climatique ont aidé les moustiques
Selon les résultats de l’enquête de l’Organisation mondiale de la santé, de nombreux pays d’Afrique subsaharienne ont connu des perturbations dans les services de prévention, de diagnostic et de traitement du paludisme au cours du premier trimestre 2021. Les mesures de confinements et les restrictions à la circulation des personnes et des biens ont entraîné des retards dans la livraison des moustiquaires imprégnées d’insecticides ou des campagnes de pulvérisation d’insecticides à l’intérieur des habitations. Cependant, les programmes de lutte contre le paludisme ont fait un excellent travail en maintenant leurs services autant que possible et en évitant les prédictions les plus sombres en termes d’impact de la COVID.
Cependant, certains des facteurs responsables des décès dus au paludisme s’inscrivent dans le long terme et comprennent la dynamique de la population et la démographie, ainsi que les activités humaines telles que la déforestation, l’irrigation et le drainage des marécages. Ces facteurs s’ajoutent à ceux qui existent déjà sur le continent, comme la faiblesse et le manque de ressources des systèmes de santé, les limitations des ressources humaines, les lacunes critiques qui subsistent dans l’accès aux services de lutte contre le paludisme et les mauvais systèmes de surveillance.
La situation pourrait empirer, car des données récentes des Nations Unies montrent qu’il existe une relation complexe entre le paludisme et le changement climatique, ce qui pourrait bientôt exposer des millions d’autres personnes à la maladie.
Le changement climatique se caractérise souvent par une augmentation des températures, une recrudescence des catastrophes naturelles, des invasions de criquets, des inondations, des sécheresses, etc. Avec des températures plus chaudes et des variations des précipitations, les chercheurs de l’Université de Floride s’attendent à ce que les zones vulnérables au paludisme changent et que la zone de transmission totale s’étende. À des altitudes plus élevées, le moustique anophèle femelle porteur du paludisme se multiplie, ce qui pourrait entraîner une augmentation des transmissions dans des zones où elle n’était même pas signalée auparavant. L’arrivée du paludisme dans de nouvelles régions ou dans des pays tropicaux et tempérés qui ont éliminé ou contrôlé la transmission présente un risque important pour les populations qui n’ont jamais été exposées au parasite du paludisme, car elles n’ont pas d’immunité protectrice. Par exemple, les districts de la province septentrionale du Rwanda et de Kigali ne sont généralement pas connus pour leurs épidémies, mais sont très probablement sujets à celles-ci en raison de l’altitude et des conditions climatiques.
Bien que les chercheurs ne soient pas encore certains de l’ampleur de l’impact du changement climatique sur le paludisme, il est clair que son influence, ainsi que celle d’autres facteurs environnementaux sur les maladies à transmission vectorielle, constitue une menace importante qui pourrait être évitée grâce à des stratégies appropriées et à une approche cohérente.
Il est donc impératif d’investir de manière adéquate et équitable dans la recherche et les exercices de surveillance, afin de déterminer comment le climat peut influer sur les programmes de contrôle et d’élimination du paludisme et d’identifier les régions où les conditions climatiques peuvent devenir propices à la résurgence ou à la propagation. Cela pourrait permettre de fournir un traitement actuel et amélioré aux personnes les plus vulnérables et de surveiller l’évolution de la propagation de la maladie.
Résistance aux insecticides et aux médicamentss
Des centaines de milliers de personnes sont mortes du paludisme après l’apparition de résistances aux traitements dans la seconde moitié du XXe siècle. À cette époque, il n’existait pas de véritable filière de recherche et développement (R&D) de nouveaux antipaludiques pour les remplacer, jusqu’à l’introduction des combinaisons contenant de l’artémisinine au début du siècle. Les innovations en matière de traitement, ainsi que l’utilisation généralisée d’outils tels que les moustiquaires imprégnées d’insecticide de longue durée et les tests de diagnostic rapide, ont permis de sauver plus de sept millions de vies et de prévenir plus d’un milliard de nouvelles infections palustres depuis le début des années 2000. Actuellement, les combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (ACT), qui est un traitement de première intention recommandé par l’OMS, sont largement efficaces et bien tolérées et sont utilisées depuis près de 20 ans. Cependant, la menace émergente de résistance exige une action urgente pour développer de nouveaux médicaments avec des mécanismes d’action nouveaux et distincts.
Une résistance émergente à l’artémisinine a été observée dans la région du Grand Mékong et une résistance spontanée est maintenant de plus en plus souvent observée en Afrique particulièrementen Érythrée, en Éthiopie, au Rwanda, en Somalie, au Soudan, en Ouganda et de plus en plus fréquemment dans la Corne de l’Afrique. Actuellement, la résistance à l’artémisinine signifie que chaque patient doit prendre plus de comprimés, mais si les parasites deviennent également résistants au médicament partenaire, alors le traitement deviendra inefficace, entraînant de nombreux décès.
Outre la résistance aux traitements, un autre type de résistance émerge rapidement contre une ligne de défense vitale contre le paludisme : les insecticides. Si l’on ne surveille pas, n’atténue pas et ne gère pas la résistance aux insecticides, on assistera probablement à une augmentation des cas de paludisme et des décès. Cette situation est particulièrement inquiétante dans le cas des pyréthroïdes, l’insecticide utilisé sur les moustiquaires imprégnées d’insecticide (MII). L’incapacité croissante des insecticides à tuer les vecteurs du paludisme est préoccupante car les interventions à base d’insecticides sont essentielles pour prévenir les décès et les maladies dus au paludisme chez les enfants africains. On estime que les MII sont responsables de 78 % des 663 millions de cas cliniques de paludisme évités en Afrique subsaharienne depuis 2001, et que plus de 50 % des personnes vivant dans des zones d’endémie palustre en Afrique subsaharienne dormaient sous des MII en 2016.
Vaccins
En 2021, l’OMS a recommandé l’utilisation généralisée du premier vaccin antipaludéen au monde pour les enfants. Bien qu’il s’agisse d’une avancée majeure pour la santé des enfants, le vaccin n’a pas encore atteint les régions les plus touchées en Afrique subsaharienne. Malgré l’annonce récente de l’UNICEF de fournir 18 millions de doses de RTS,S/AS01 (RTS,S) par le biais d’un contrat avec GSK, l’approvisionnement restera limité dans un premier temps et ne fera qu’augmenter au fil du temps, à mesure que la capacité de fabrication atteindra le niveau requis.
Le Rwanda est dans une position unique pour devenir un leader, car le pays abrite la première des trois installations de fabrication de vaccins MRNa prévues en Afrique subsaharienne. Ce développement a le potentiel de faire du Rwanda un leader dans la R&D et la fabrication de vaccins pour le continent, en particulier lorsque ces nouvelles technologies sont appliquées à la lutte contre le paludisme.
“Ce qui nous a mené ici … ne nous mènera pas là où nous devons être”.
Lors de la récente réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth à Kigali, les dirigeants ont souligné l’opportunité d’accélérer la lutte contre les maladies infectieuses, notamment le paludisme. Le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, qui préside également l’Alliance des dirigeants africains contre le paludisme, dans son article d’opinion après la réunion, a souligné la nécessité de vaccins et d’investissements pour faire pencher la balance contre le paludisme. “…. ce qui nous a permis d’arriver jusqu’ici dans la lutte contre le paludisme ne nous mènera pas là où nous devons être en 2030. Nous avons besoin de nouveaux outils, tels que le nouveau vaccin contre le paludisme, le RTS, S. Nous devons veiller à ce que chacun, partout, puisse avoir accès aux outils de prévention de la maladie, tels que les moustiquaires, les pulvérisations intradomiciliaires à effet rémanent et la chimio prévention saisonnière.
Par Immy Mulekatete,
Enthousiaste des communications, des médias et du marketing